língua | língua | merda #01 par Fernando Neves sur Flickr.
En application du RDA (Ressources : description et accès), qui lui-même en l’espèce se conforme au modèle FRBR, une œuvre est privée de sa langue.
Une œuvre n’a pas de langue
Dans le modèle FRBR, une œuvre — même textuelle — n’a pas de langue. Pas même de langue(s) originale(s). L’attribut de langue se trouve exclusivement au niveau de l’expression :
4.3.4 Langue de l’expression
On entend par « langue de l’expression » la langue dans laquelle l’œuvre est exprimée. Elle peut regrouper plusieurs langues, chacune d’entre elles étant la langue d’un élément individuel de l’expression.
On voit par là que des trois entités abstraites du groupe 1 (Œuvre, Expression, Manifestation), l’œuvre est la plus abstraite de toutes. C’est à dire que dans une masse de métadonnées structurées (par exemple, un catalogue de bibliothèque), une œuvre doit être envisagée comme un dossier permettant de rassembler, pour un meilleur confort d’utilisation, l’ensemble des métadonnéees se rapportant à une seule et même « création intellectuelle ou artistique déterminée » (FRBR, § 3.2.1). Dossier renfermant un ou plusieurs sous-dossier(s) (les expressions de l’œuvre considérée), et ainsi de suite jusqu’à l’item, dernier échelon de ce principe de classement. La langue se trouve au 2e échelon, elle est un élément discriminant des expressions.
Il n’y a pas de langue originale
Dans ces conditions, qu’est-ce qu’une langue originale dans le modèle ? C’est une notion qui gêne, un peu dans les FRBR, davantage dans RDA, qui souvent se prend les pieds dans le tapis lorsqu’il en traite.
Dans les FRBR :
Les traductions d’une langue dans une autre, les transcriptions et arrangements musicaux, les versions doublées ou sous-titrées d’un film sont également réputés n’être que des expressions différentes de la même œuvre originale. (3.2.1 L’entité Œuvre)
Seulement se contenter de (par exemple) :
œuvre [œ1] Il consiglio d’Egitto | Sciascia, Leonardo (1921-1989)
expression [e1] Il consiglio d’Egitto | Sciascia, Leonardo (1921-1989). Français (Pressac)
c’est faire l’impasse sur une information importante : [e1] n’est pas une expression « directe » de [œ1]. On ne peut pas la mettre sur le même plan que :
expression [e2] Il consiglio d’Egitto | Sciascia, Leonardo (1921-1989). Italien
réalisée par le créateur même de [œ1]. Il faudrait pouvoir mentionner que [e1] est une transformation (en l’occurrence : une traduction) d’une expression « directe » de [œ1].
La relation de traduction dans les FRBR et dans RDA
Une telle relation entre expressions est définie dans le modèle FRBR, au § 3.2.2 L’entité Expression :
L’existence d’une entité expression permet également d’établir des relations entre les expressions spécifiques d’une œuvre. Il est ainsi possible, par exemple, de se servir de l’entité expression pour identifier l’état du texte sur lequel a été établie une traduction, ou la partition spécifique suivie par les interprètes d’une composition musicale.
FRBR.
Et dans le chapitre 5 qui traite des relations, où l’on trouve un « Tableau 5.3 Relations entre une expression et une expression » :
Entre des expressions de la même œuvre
Traduction
a une traduction à
ß est une traduction de[…]
Les relations entre des expressions de la même œuvre (Tableau 5.3) se rencontrent lorsqu’une expression a été tirée d’une autre. Dans ces types de relations, une expression est considérée comme une modification de l’autre. La modification peut être une traduction littérale, dont le but est de restituer le contenu intellectuel de l’expression antérieure aussi fidèlement que possible (à noter que dans le modèle les traductions libres sont traitées comme de nouvelles œuvres).
Mais nulle part dans le modèle n’est évoquée la notion de langue originale, qui, pour reprendre la logique des FRBR, serait celle de la première expression de l’œuvre (ou celles des premières expressions simultanées de l’œuvre dans le cas d’une œuvre créée par une collectivité multilingue par exemple). Une telle expression a pour autre caractéristique qu’elle est le fait du créateur (ou des créateurs) de l’œuvre qu’elle représente.
Résultat : il n’y a pas de moyen simple dans le modèle d’indiquer si une traduction a été effectuée depuis une expression qui est elle-même une traduction.
Fait aggravant : pour des raisons de commodité le modèle FRBR consent à ce qu’une traduction soit reliée directement à l’œuvre dont elle est une expression :
Cela [le fait de définir la notion d’œuvre comme l’une des entités du modèle] permet également d’établir des liens indirects entre plusieurs expressions de la même œuvre lorsqu’il est impossible d’établir des liens directs entre ces expressions elles-mêmes. Par exemple, il peut y avoir plusieurs traductions d’une même œuvre (par exemple, Anne of Green Gables) sans qu’il soit toujours possible ou nécessaire de préciser quel est le texte dont tel traducteur est parti pour élaborer sa propre traduction. Dans ce cas on n’établira pas de lien direct entre les expressions particulières de l’œuvre (c’est-à-dire, entre la traduction et le ou les textes sur lesquels elle s’est appuyée), mais le fait de relier individuellement chacun des états du texte et chacune des traductions avec l’entité dénommée œuvre permet de relier implicitement entre eux tous ces différents états et toutes ces traductions.
(FRBR. § 3.2.1 L’entité Œuvre)
RDA profite tout naturellement de cette facilité. Bien que les relations translation of / translated as soient définies dans l’annexe J3 (Relationship Designators for Related Expressions), les exemples fournis dans le corps même du code en font peu de cas (si ce n’est sous la forme de la traditionnelle note sur le titre original), et les règles de construction des points d’accès identifiant les expressions encore moins :
Goncourt, Edmond de, 1822–1896. Frères Zemganno. English
Resource described: The Zemganno brothers / by Edmond de Goncourt. An English translation of a French novel
(RDA § 6.27.3 Authorized Access Point Representing an Expression)
Qu’est-ce qui manque ?
- Le contenu linguistique d’une expression devrait pouvoir être étiqueté comme étant soit « original » (i.e. le fait du ou des créateur(s) de l’œuvre), soit « traduit ».
- Lorsqu’une expression est une traduction d’une autre expression, il faudrait fournir des éléments permettant d’identifier cette dernière.
Par exemple :
œuvre Il consiglio d’Egitto | Sciascia, Leonardo (1921-1989)
expression Il consiglio d’Egitto | Sciascia, Leonardo (1921-1989). Italien [original]
expression Il consiglio d’Egitto | Sciascia, Leonardo (1921-1989). Français [traduit de l’original italien] (Pressac)
œuvre ’n Seisoen in die paradys | Breytenbach, Breyten, 1939-
expression ’n Seisoen in die paradys | Breytenbach, Breyten, 1939- . Afrikaans [original]
expression ’n Seisoen in die paradys | Breytenbach, Breyten, 1939- . Français [traduit d’une traduction anglaise] (Guiloineau)
Il y a sûrement des façons plus lisibles et plus précises de présenter ces informations, d’autant qu’elles le sont ici sous forme de points d’accès (il manque les liens entre expressions et de quoi identifier de ces dernières). Il suffit qu’elles soient effectivement présentes, sous une forme ou une autre, dans les métadonnées.
Le groupement européen EURIG a introduit une demande d’évolution du code RDA sur ce point à partir du travail effectué par le groupe RDA en France : 6JSC/EURIG/3 Language of expression – Revision of RDA 6.11, 6.11.1.3, 6.11.1.4, 7.12.1.3, 26.1.1.3 [.pdf].
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=6a78EZVjxH0″>http://www.youtube.com/watch?v=6a78EZVjxH0] Extrait de : The mark of Zorro / Fred Niblo et Theodore Reed, réalisation ; Douglas Fairbanks (Don Diego de la Vega / Zorro), Noah Beery (le sergent Pedro), Charles Hill Mailes (Don Carlos Pulido), Claire McDowell (Doña Catalina), Marguerite De La Motte (Lolita)… [et al.], acteurs. 1920.
Et que dire des versions par Beckett lui-même de ses textes en diverses langues ?
Pour RDA (et FRBR), dans l’état actuel des choses : rien. Ni l’un ni les autres n’ont rien à dire de Beckett.
A mon avis, dès lors qu’un créateur se donne aux yeux du monde pour multilingue, c’est à dire s’il publie le même texte dans des langues différentes sans indication de traduction de sa part, chacune de ces langues est « originale ». Il n’y a pas à savoir si l’une a précédé les autres.
Idem d’une collectivité qui use officiellement de différentes langues, sans indication de traduction de l’une dans la ou les autres.
Mais je suis bien persuadé que chaque spécialiste a son avis sur la question…
De toute façon ces questions-là ne sont pas nouvelles : lorsqu’on fait une notice en MARC, par exemple dans le Sudoc, ce sont des questions qu’on se pose au quotidien depuis des années.
Ping : SIGB | Pearltrees