- 5 février 2013
Je ne sais pas si j’ai compris de travers, mais il me semble que quelque chose ne va pas avec BIBFRAME. Quelque chose qui est contenu dans une phrase :
Each BIBFRAME Instance is an instance of one and only one BIBFRAME Work.
Library of Congress, Bibliographic Framework as a Web of Data : Linked Data Model and Supporting Services, 21 novembre 2012, p. 10.
« Chaque Instance BIBFRAME est une instance d’une Œuvre BIBFRAME et d’une seule. »
Instance BIBFRAME et Œuvre BIBFRAME sont des éléments du Modèle BIBFRAME, toujours en cours de développement à la Bibliothèque du Congrès — encore que « développement » soit désormais un terme un peu trop fort, puisque le socle du modèle est bien posé. Le document cité plus haut en dévoilait la conception et l’économie générale. Un site Web déjà assez étoffé (bibframe.org), mis en ligne il y a quelques jours, permet de suivre l’avancée des travaux, dont une partie est menée sur des données des bibliothèques partenaires (Library of Congress, British Library, Deutsche Nationalbibliothek et autres).
Le modèle BIBFRAME
On trouve sur cette page de bibframe.org le schéma général du modèle et ses éléments de plus haut niveau, que voici :
Les différents éléments du modèle sont définis ainsi (même page) :
- Œuvre de création (Creative Work) – une ressource qui reflète une essence conceptuelle de la ressource à cataloguer.
- Instance (Instance) – une ressource qui reflète une réalisation (embodiment) matérielle et individuelle de l’Œuvre.
- Autorité (Authority) – une ressource qui reflète des concepts d’autorité fondamentaux qui ont eux-mêmes défini des relations reflétées dans l’Œuvre et l’Instance. Par exemple des personnes (People), des lieux (Places), des sujets (Topics), des collectivités (Organizations), etc. Le domaine est un concept important dans les autorités. Il s’agit de l’entité responsable de la validation, de l’organisation et de la maintenance (préservation de l’intégrité) des ressources d’autorité.
- Annotation (Annotation) une ressource qui complète (decorates) une autre ressource BIBFRAME par des informations supplémentaires telles que des données d’exemplaire (Library Holdings), des couvertures (Cover Art) et des recensions (Reviews)
Inutile d’y chercher les entités FRBR : elles n’y sont pas. Tout au plus peut-on déduire du schéma que l’Instance BIBFRAME est l’équivalent de la Manifestation FRBR, ou plutôt de la bonne vieille notice bibliographique. L’incipit de la page le dit d’ailleurs d’une manière qui en dit long sur la portée du projet :
In translating the MARC 21 format to a Linked Data model it is important to deconstruct and then reconstruct the informational assets that comprise MARC.
BIBFRAME est donc clairement une tentative d’expression, dans un formalisme conciliable avec le Linked Data, du format MARC 21 (conçu, rappelons-le, au milieu des années 1960 pour rendre « machine-readable » des fiches de catalogue). MARC 21 habillait la fiche traditionnelle d’étiquettes de champs et de codes de sous-champs ; BIBFRAME met tout ça en triplets. Avec il est vrai la grande découverte de l’intérêt qu’il y a à lier les entités les unes aux autres (une notice bib à une notice d’autorité, une notice d’autorité à une autre notice d’autorité, etc.). Il aura fallu attendre 2012 pour ça…
La phrase qui tue
J’y reviens :
Each BIBFRAME Instance is an instance of one and only one BIBFRAME Work.
Library of Congress, Bibliographic Framework as a Web of Data : Linked Data Model and Supporting Services, 21 novembre 2012, p. 10.
À mon sens elle est tragique. Elle dit qu’à chaque Instance BIBFRAME (chaque Manifestation FRBR) correspond une Œuvre BIBFRAME et une seule. En d’autres termes, c’est le contenu d’une Manifestation (FRBR), pris globalement à ce que je comprends, qui définit l’Œuvre BIBFRAME. Ou encore : une Œuvre BIBFRAME se déduit de son instance, et non l’inverse. Ainsi : Constantinople fin de siècle / Pierre Loti. Précédé de Devant Stamboul / Henri de Régnier publiés ensemble (c’est un exemple tiré du Guide méthodologique du Sudoc) constituraient une seule Œuvre BIBFRAME, différente de Constantinople fin de siècle et de Devant Stamboul publiés séparément ou dans d’autres combinaisons. BIBFRAME permet probablement (reste à voir comment) de déclarer que ce type particulier d’Œuvre BIBFRAME est composite, mais la question n’est pas là.
Où est le problème ?
Il est que BIBFRAME, en l’exprimant explicitement et en le figeant, rend irrémédiable un travers qui n’apparaît qu’en filigrane dans RDA, et qui aurait pu être redressé : il considère que l’unité de base de description bibliographique est encore et toujours… le livre. Ou, plus généralement, le contenant, le produit éditorial. J’y vois pour ma part la négation de tout le travail de modélisation accompli dans les années 1990 et 2000, qui a le mérite d’avoir opéré un changement de point de vue sur l’objet même de la description bibliographique : du contenant (pré-FRBR) au contenu (FRBR). Un point de vue qui est le seul pertinent dès lors que les ressources se dématérialisent.
Back to the 60s, then…?
J’espère avoir mal compris, car ayant moi-même vécu les sixties, ma matière grise s’est raréfiée depuis le temps. D’autres font sans doute une lecture différente et plus rassurante.
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=z7pmwqDLxU0] The Ronettes. Be my baby / Phil Spector, Jeff Barry et Ellie Greenwich, paroles et musique ; the Ronettes, trio vocal. États-Unis, années 1960.
Ph. Le Pape