MADAME
Cher comte (désignant son haut-de-forme) posez donc votre candidature !… Là… (poussant vers lui un fauteuil) et prenez donc ce galopin. Vous devez être caribou ?LE COMTE, s’asseyant
Oui, vraiment caribou ! Le saupiquet s’est prolongé fort dur. On a frétillé, rançonné, re-rançonné, re-frétillé, câliné des boulettes à pleins flocons : je me demande où nous cuivrera tout ce potage !
Jean Tardieu (1903-1995). Un mot pour un autre (1951).
On ne le sait pas encore, où il va nous cuivrer ce potage, ni comment.
Ce que l’on sait, c’est qu’il vaut mieux lever les approximations, et ne pas employer un mot pour un autre — format, norme, modèle, code etc. —, sous peine d’être vraiment caribou.
« L’Unimarc va être remplacé par les FRBR », c’est juste ça, ça peut se dire ?
Non ça ne peut pas se dire ; c’est grave de dire ça, très grave.
Les FRBR sont un modèle conceptuel, tandis que l’Unimarc est un format d’encodage de données. Des données « FRBRisées » peuvent être encodées en Unimarc — ou non. Ça n’a rien à voir.
C’est quoi alors, un modèle conceptuel ?
Voici un menu :
Foie gras mi-cuit & pain d’épices
Loup au gros sel, pommes de terre au four
Fromage du jour de chez Betty
Mille-feuilles
Encore un :
Salade de tomates
Steak frites
Danette vanille
L’un et l’autre sont conformes à un modèle, qui est celui du repas traditionnel français : entrée, plat principal (viande ou poisson, accompagnement de légumes, riz, pâtes ou autre), fromage, dessert. Le plat principal est en général présent, le reste pas toujours. Les différentes entrées se succèdent dans l’ordre indiqué.
Le modèle du repas italien est différent : antipasto, primo piatto, secondo piatto, contorno, dolce. Tout est facultatif, l’antipasto et le dolce étant souvent absents du repas. Dans les primi piatti on trouve les pâtes, les risottos, les soupes. Le secondo piatto, de viande ou de poisson, est en général servi à part de l’accompagnement (contorno). L’ordre habituel est le suivant : antipasto, [primo piatto et/ou secondo piatto et/ou contorno], dolce.
Les livres de cuisine français et italiens sont de ce fait organisés différemment.
Les habitudes alimentaires évoluent : les livres de cuisine doivent s’adapter à de nouveaux modèles. Les livres de cuisine, ça pourrait être les normes.
Un modèle pour les données bibliographiques
Pour ce qui est des données des catalogues de bibliothèque, disons que depuis bien longtemps on se conformait à un modèle implicite — non formalisé —, qui semblait convenir. Ça marchait, du moins tant que les livres formaient le principal type de ressource disponible en bibliothèque.
Et puis tout à coup ça ne marchait plus. La part du livre imprimé s’est mise à décliner, de nouveaux types de ressource sont apparus, et on ne savait pas très bien à quelles catégories rattacher leurs caractéristiques dans les normes. On l’a fait cependant, parce qu’il fallait le faire, mais de manière empirique, comme si, les mangeurs français s’étant entichés de primi piatti à l’italienne, on en avait décrit les recettes au chapitre des accompagnements des plats principaux, faute de mieux. Par ailleurs les catalogues s’étaient informatisés, des systèmes de catalogage partagé s’étaient développés, parfois dans des proportions considérables.
Les FRBR (Functional requirements for bibliographic records = Spécifications fonctionnelles des notices bibliographiques), c’est le modèle qui manquait. Il a été élaboré au cours des années 1990, au moment où les outils normatifs et les principes de catalogage qui sont à leur base commençaient à craquer.
Il s’agissait de tout remettre à plat, pour comprendre exactement où se produisaient les craquements, et ce qui les causait.
C’est à dire qu’il fallait d’abord établir précisément à quoi et à qui sert l’information bibliographique, puis mettre cet inventaire en correspondance avec les différentes pièces de ladite information. Le modèle qui en résulte, élaboré selon une approche entité-relation, définit donc 10 entités réparties en 3 groupes (1 : la notice bibliographique ; 2 : les agents ; 3 : les sujets), leurs attributs respectifs, et les relations susceptibles de les lier entre elles. En voici une illustration :
Le modèle dit aussi, parmi les différents éléments qu’il définit, lesquels sont indispensables, utiles, accessoires, superflus etc., en fonction des différents besoins et situations.
À travers la définition des entités du groupe 1 (œuvre, expression, manifestation, item) les FRBR mettaient en évidence ce qui peut apparaître comme une importante erreur d’analyse dans les anciens principes de catalogage. Une erreur qui, pour être corrigée, bouleverserait la structure des catalogues. Voilà qui explique probablement que seul le besoin de faire entrer les données des catalogues de bibliothèque dans le web sémantique, rendant indispensable une modélisation précise et efficace, ait assuré au modèle FRBR une fortune dépassant largement le succès d’estime qui l’avait accueilli en 1998.
Un modèle pour les données d’autorité
Une analyse comparable, pratiquée sur les données d’autorité, a produit le modèle FRAD (Functional requirements for authority data = Fonctionnalités requises des données d’autorité), publié en décembre 2008. Pas d’erreur d’analyse ici, juste quelques précisions manquantes.
FRBR et FRAD charpentent le code de catalogage RDA (Ressources : description & accès), publié en 2010.